PETITS CANDIDATS, GRANDS ATOUTS

Merci à eux, il y avait des d'idées novatrices dans le discours politique pendant la récente campagne électorale

Par Robert Sarner, Europe magazine, Juin 1981

[Taking stock of the so-called small candidates in the spring 1981 French presidential elections and their impact on France's political scene.]

Une campagne électorale ne peut qu'àtre aussi intéressante que les candidats qui se présentent. Au printemps de 1981, pour les Franáais fatigués d'une campagne qui semble avoir commencé depuis des années, les petits candidats constituaient la seule source d'air frais, de nouveau langage, d'idées novatrices dans le discours politique.

Et pourtant, malgré le cynisme des électeurs, les petits candidats n'en ont pas vraiment profité. Pour la plupart, les petits ont souffert du fameux « vote utile ». Condamnés par le systäme à rester dans la deuxiäme classe, victimes des sondages, des préjugés des médias, des lois électorales, ces candidats « marginaux » ne sont pourtant ni sans poids, ni sans intéràt dans ces élections.

Tant de travail pour si peu de chances. Tant de ténacité et si peu de percée dans le corps électoral. Tel est le sort des petits candidats qui doivent travailler beaucoup plus dur que les grands pour récolter moins de suffrages. Si leur contribution au débat politique avant le premier tour était énorme, leur récompense au soir du 26 avril était mince. En tout, les six petits candidats ont obtenu moins des 15 pour cent des suffrages exprimés.

Néanmoins, ils sortent tous un peu gagnants aussi. Compte tenu de la nature serrée du deuxiäme tour, les deux gagnants du premier tour ne peuvent pas se permettre d'ignorer la position des petits candidats et le soutien qu'ils ont reáu. Autrement dit, Brice Lalonde, Arlette Laguillier, Michel Crépeau, Michel Debré, Marie-France Garaud et Huguette Bouchardeau ont emmagasiné les votes qui ont finalement déterminé la victoire au deuxiäme tour.

Des plus, ces petits candidats étaient en fait des grands parmi tous les marginaux qui s'étaient déclarés candidats cette année. Ils étaient nombreux sur la ligne de départ. Plus de 60 hommes et femmes, sérieux ou folkloriques, seuls ou soutenus par des milliers de partisans. Six seulement ont réussi à franchir les obstacles placés sur leur chemin. Six seulement on gagné la bataille de 500 signatures qu'il fallait déposer avant le 8 avril au Conseil constitutionnel.

GrÉce à la nouvelle législation de 1976, le fait màme d'àtre présents au premier tour représente déjà une sorte de victoire pour les marginaux. La course aux parrainages était pour eux une sorte d'élection primaire. Pendant des mois, certains depuis l'été dernier, ils ont fourni un gigantesque effort militant, frappants aux portes des maires, multipliant les lettres, les communiqués et les interventions aupräs des grands partis pour parvenir à franchir l'obstacle. Tout cela avant que le travail politique puisse réellement commencer au moment de la campagne officielle, qui a été fixée au 10 avril mais qui n'a débuté que le 13 avril à la télévision.

Donc, des mois de travail pour gagner finalement environ une heure chacun sur le petit écran et pour s'exprimer pendant moins de deux semaines. Telles étaient leur foi, leur fidélité et leur croyance dans leur politique ainsi que leur désir d'enrichir le débat politique à l'échelle nationale.

Plus engagés que la « bande des quatre » - Giscard, Mitterrand, Marchais et Chirac - ils n'avaient pas, bien sñr, l'espoir d'àtre élus ni màme d'àtre présents le 10 mai. Et pourtant, l'enjeu de ce premier tour était träs important pour eux.

Les uns mettaient en jeu leur crédibilité personnelle. Ainsi Marie-France Garaud et Michel Debré, qui se sont engagés dans la bataille sans appareil, pour exprimer un message qu'ils prétendaient àtre les seuls à pouvoir faire entendre.

D'autres jouaient, au-delà de leur avenir personnel, celui du courant politique qu'ils représentent. Brice Lalonde, Michel Crépeau et Huguette Bouchardeau savaient bien que leurs mouvements se reläveraient difficilement d'un échec électoral, màme s'il n'est pas toujours facile de savoir quel nombre de voix constitue un échec pour un petit candidat. Seule, peut-àtre, Arlette Laguillier est relativement à l'abri des retombées électorales.

Voilà donc le résumé des aventures des six petits candidats dans leur course à l'Elysée. Il faut dire que ses marginaux ne représentent pas tout le kaléidoscope politique de la France. Etaient notamment absents, pour n'avoir pas pu franchir la barre des 500 signatures, les candidats d'extràme droite, régionaliste et communiste révolutionnaire. Mais, quand màme, grÉce à eux, la campagne bénéficiait d'une multiplicité d'idées, de thämes, d'obsessions trop souvent ignorés par les grands partis.

Au fond, ces six - et surtout tous les candidats marginaux - renvoyaient une image de la démocratie à l'état brut, celle qui n'a pas été retouchée par les professionnels de la politique.

Brice Lalonde : un million de voix

Pour le candidat écologiste, il y avait de quoi se réjouir apräs le verdict du premier tour. D'abord, avec 3,8 pour cent des voix, Brice Lalonde est sorti le plus grand des petits. Il a bien dépassé le seuil fatidique (et jamais atteint dans une élection nationale) du million de voix qu'il s'était fixé comme objectif, et cela malgré le réflexe du « vote utile » qui a bien dñ le priver de quelques dizaines ou centaines de milliers de suffrages.

Les voix écologistes ont donc pesé lourd pour les deux concurrents du deuxiäme tour : Lalonde a d'ailleurs fait connaåtre immédiatement sa position. « Pas de comique de vote, » a-t-il confirmé, « ce qui ne veut pas dire que nous ne serons pas présents aux élections législatives et dans le premier gouvernement de Pierre Mauroy. » Le portefeuille de l'Environnement est allé au plus « écolo » des candidats de gauche, Michel Crépeau.

Arlette Laguillier: le màme combat sans illusions

Vétéran de la bataille électorale, Arlette Laguillier, employée de banque, s'est déjà présentée comme candidate de lutte ouvriäre en 1974. Elle avait alors obtenu 2,3 pour cent des suffrages. Sept ans plus tard, apräs avoir joué la màme carte, apräs avoir répété les màmes discours et les màmes slogans, elle a obtenu presque les màmes résultats. Pour elle, qui se présentait comme la seule travailleuse de l'élection et qui se proposait de tripler son score de 1974, le verdict, cette fois-ci, ne constitue pas vraiment un échec, mais pas un succäs non plus. Comme prévu, elle a appelé ses quelque 650,000 électeurs à voter pour Mitterrand au second tour, « sans illusion mais parce que nous sommes solidaires de l'ensemble des électeurs de gauche ».

Michel Crépeau: un peu seul au centre-gauche

Pour sauver du naufrage son Mouvement des radicaux de gauche, dont les élus pràtaient déjà pour la plupart une oreille attentive aux siränes socialistes, Michel Crépeau, maire de la Rochelle, a inventé le concept encore bien flou de la « gauche réaliste ». Il s'est présenté comme le « premier maire écologiste de France ». Apräs le vote du 26 avril, Crépeau, le « rassembleur du centre gauche », comme il se voyait, doit se sentir un peu seul, sinon un peu déáu. Il a récolté 2,2, pour cent des voix, score presque identique à celui obtenu aux élections législatives de 1978 par le MRG.

Il a déclaré qu'il apportait au candidat socialiste ses voix au second tour. Mais il a ajouté : « Je suis sñr que Franáois Mitterrand devra tenir compte des voix obtenues par les petits candidats qui représentent une sensibilité qui päsera lourd dans le jugement définitif des électeurs. »

Michel Debré: la din d'un baron

Debré a perdu comme tombent les grands. Comme premier ministre de de Gaulle, Michel Debré a su ce que c'était que d'àtre un grand dans le forum politique. Deux décennies plus tard, à l'age de 69 ans, il n'était plus qu'un petit candidat parmi d'autres. Fait confirmé par son faible score de 1,6 pour cent des voix. Il n'a pas pu surmonter deux handicaps majeurs : celui d'apparaåtre comme l'adversaire de Jacques Chirac et celui d'àtre parrainé par des « barons » gaullistes. Apräs un long silence, Michel Debré a recommandé de voter Giscard au second tour, mais sans vouloir dissimuler sa profonde déception.

Marie-France Garaud: habile dans la défaite

L'ancienne conseilläre de Georges Pompidou et de Jacques Chirac s'est lancée dans une campagne électorale oó elle a su imposer sa singularité... mais sans que cela se soit traduit par des votes. Certes, cette candidate de droite n'a obtenu que 1,3 pour cent des votes. « Je pense avoir toujours dit que mon propos n'était pas électoraliste, » a-t-elle affirmé peu apräs les résultats du scrutin. « J'ai voulu mener un débat d'idées, je l'ai mené, le résultat a peu d'importance. » Plus facile à dire quand on est perdante. Elle a refusé de faire connaåtre son sentiment personnel sur le second tour jusqu'à la veille du vote.

Huguette Bouchardeau : victime du vote « utile »

Pour la deuxiäme fois de son existence, le PSU (Parti socialiste unifié) a tenté l'aventure de l'élection présidentielle. La derniäre fois, en 1969, dans des conditions träs différentes, Michel Rocard avait recueilli 3,6 pour cent des suffrages au premier tour. Cette fois-ci, Huguette Bouchardeau a obtenu à peine 1 pour cent des voix. Malgré sa présentation naturelle et sa sincérité, elle est tombée, sans doute victime de la concurrence des petits candidats de gauche et du fameux vote « utile ». Visiblement un peu déáue par les résultats du scrutin, la candidate du PSU a dit qu'elle mänerait campagne pour Franáois Mitterrand. « Ce que je voudrais, » a-t-elle déclaré, « c'est qu'il fasse une campagne suffisamment pluraliste et ne se comporte pas comme un chef de parti, mais en homme plus soucieux de rassembler toutes ces voix qui se perdent dans l'abstention. »

Une chose reste certaine. Sans la présence des petits candidats, le deuxiäme tour était condamné à àtre moins intéressant. Si les Franáais, comme le disait la couverture de l'hebdomadaire Le Point il y a quelques semaines, avaient tendance à bÉiller au premier tour, ils ont bien failli s'endormir pour le deuxième. Au secours Coluche!...

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